Un printemps qui tue le cœur
Kentaro Sugi
Humain parmi les fleurs
En janvier 2020, j’étais à Paris. J’y étais venu pour des cérémonies d’art floral « Hanakai » que j’avais organisées. Ces cérémonies s’apparentent à la cérémonie du thé que nous connaissons au Japon.
Lorsque j’étais à Paris en janvier 2019, es choses ont été rendues difficiles à cause de la neige. En revanche, cette année, il a fait relativement doux. J’étais à Paris à la même saison mais mes séjours ont été très différents.
Beaucoup de parisiens sont venus aux cérémonies et j’ai eu l’occasion d’avoir de nombreuses discussions avec eux.
Le sujet qui suscite mon intérêt est toujours le même : À quoi pensez-vous lorsque vous regardez des fleurs ?
Cela peut être la fleur disposée dans un soliflore dans une pièce faiblement éclairée ou des fleurs qui poussent sur le bord des chemins où nous nous promenons. J’utilise les fleurs sauvages que je cueille aux alentours du lieu où se tient la cérémonie.
Je n’achète jamais les fleurs chez un fleuriste.
Les fleurs sauvages vivent en résistant à la pluie ou au vent, comme si on subit les rudes épreuves de la vie. Nous cueillons ces fleurs et les amenons à l’intérieur pour les admirer.
Le vent ne souffle pas à l’intérieur d’une pièce, mais je dispose les fleurs comme si elles étaient ma propre silhouette soufflée par le vent. On ne voit pas réellement le vent souffler mais on peut percevoir l’aspect intérieur des fleurs qui supportent la pluie ou le vent. C’est pour cela que nous sommes assaillis d’émotions devant ces fleurs.
Notre vie passe rapidement, rythmé par les jours de pluie, les jours de beau temps et les épreuves. Ce qui devrait développer notre sens de la compassion.
Autrement dit, nous ne faisons que regarder le cycle de la vie : disparition, naissance et disparition à nouveau comme l'écumes du temps. C’est dans ce moment éphémère que réside la vérité.
Je pense que ce qui existe dans « le vacillement léger » flottant entre le rêve et l’éphémère, c’est un instant de vérité, incarné par les fleurs.
Lorsque l’on se trouve devant les fleurs lors d’une cérémonie, on perçoit clairement cet instant de vérité intense dans le cours du temps qui ne s’arrête jamais.
Il y a cinq ans, j’ai commencé à photographier Tokyo et j’allais à un hôpital abandonné, aujourd’hui démoli, pour y arranger des fleurs sauvages pendant trois ans. Avec la crise du coronavirus, Tokyo que j’avais photographié ressemble à une autre planète. Dans ce livre de photographie, on voit un « Tokyo que l’on ne pouvait pas imaginer » comme si ce livre avait prédit la situation actuelle.
L’être humain garde les souvenirs, les accumule et finit par les oublier un jour. Nous ne pouvons peut-être pas survivre si on ne les oublie pas. Le livre de photographie « Wasurekusa Tokyo » est le vestige d’un Tokyo mort.
Quel espoir caressons-nous pour un nouveau monde ? A quoi pensons-nous en voyant des fleurs sauvages qui vivent quelles que soit les circonstances ? Telles sont les questions que semble poser l’ombre des fleurs sans voix.
A la forêt de bambous